jeudi 15 mars 2012

Décès de Michel Duchaussoy (1938-2012)

J'ai appris avec une certaine tristesse la disparition de Michel Duchaussoy dans la nuit du 12 au 13 mars. On a beaucoup écrit sur sa carrière rayonnante au théâtre et au cinéma (dans les films de Louis Malle, Claude Chabrol, etc.) et je ne vais pas revenir là-dessus (vous pouvez lire le juste hommage de Jacques Mandelbaum et Brigitte Salino dans Le Monde).

En revanche, il est intéressant de noter que l'interprète du rôle principal de Que la bête meure a participé à quelques doublages dans sa riche carrière. En 1972, comme me l'a raconté mon ami Roger Lumont, la direction artistique du doublage du Parrain de Coppola est confiée à Louis Malle, qui par snobisme ou volonté "artistique" souhaite que la distribution vocale soit constituée uniquement de comédiens n'ayant jamais fait de doublage. Parmi les comédiens correspondant à ce souhait du réalisateur français: Michel Duchaussoy (Don Vito Corleone), Pierre Vaneck (Tom Hagen), Julien Guiomar, Brigitte Fossey, Daniel Ceccaldi, Jean Leuvrais, Pierre Tornade, Jacques Fabbri et François Maistre. Le studio appelle néanmoins de nombreux habitués des studios de doublage pour compléter la distribution, en leur demandant de faire semblant de découvrir la synchro devant le Maître. "Vous imaginez les fou-rires qu'on a pu avoir quand Gérard Hernandez demandait à Louis Malle "C'est ça qu'on appelle la "bande rythmo"? Ca marche comment?" se souvient Roger, voix de Pete Clemenza.

Il y a tout juste un mois, Michel Duchaussoy, parlait de ce doublage dans une création radiophonique de France Culture sur le thème de la voix (Ma voix est une autre, reécoutable ici, émission qui n'a pour moi d'intérêt que d'entendre quelques belles voix familières comme celle de Lucie Dolène), où il racontait avoir enregistré les dialogues avec du coton dans la bouche, comme Marlon Brando lors du tournage.

William Sabatier, voix habituelle de Brando depuis 1964, redouble le film pour la télévision (La Saga du Parrain, 1977) et José Luccioni pour la sortie DVD, mais les doublages originaux de cette grande saga se retrouvent finalement (volontairement ou non) dans l'édition Blu-Ray sortie récemment.

Mon confrère Pascal Laffitte rappelle dans son hommage de La Gazette du Doublage que Michel Duchaussoy fut aussi la voix française d'Anthony Perkins dans La décade prodigieuse (1971) et Klaus Kinski dans L'important c'est d'aimer (1975).

Encore un grand comédien qui nous quitte...


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jeudi 8 mars 2012

Décès de Pierre Tornade (1930-2012)

Une triste nouvelle pour les passionnés de seconds rôles français et les "voxophiles": le comédien Pierre Tornade est décédé mercredi 7 mars, à l'âge de quatre-vingt-deux ans.

Pierre Tornade fait ses débuts au théâtre en 1955. Son personnage de nounours un peu grognon s'impose peu à peu dans les productions théâtrales de l'époque. Il s'intègre à la bande de Robert Dhéry (qui enchaîne les succès au théâtre et au cinéma), les "Branquignols", aux côtés notamment de Jacques Legras, Jean Lefebvre et Colette Brosset. Jusqu'au début des années 70, il joue principalement des "silhouettes" au cinéma (commissaires de police, déménageurs, commerçants), à l'exception notable du Petit Baigneur de Robert Dhéry où il incarne un rôle assez important: l'un des rouquins frères Castagnier, gardien de phare. On peut également le voir avec Jacques Balutin dans Le Diable par la queue dans un hilarant duo de gangsters escortant le (faux) Baron César (Yves Montand). En 1973, il joue le Capitaine Dumont dans le premier opus de la 7ème Compagnie. Ce rôle inaugure pour l'acteur une bonne série de personnages d'officiers français dans des "nanars" qui suivent le filon des "films de bidasses" des Charlots. En 1975, Yves Boisset lui offre certainement son plus beau rôle dans Dupont Lajoie. Pierre Tornade y interprète un père brisé par le viol et le meurtre de sa fille, et entraîné dans un tourbillon de vengeance raciste organisé par ses "copains de camping". 

"Et le doublage?", me direz-vous! En 1966, il participe au feuilleton radiophonique Astérix réalisé par Claude Dupont pour Radio France. On lui propose ensuite de rejoindre l'aventure des adaptations cinématographiques du célèbre gaulois. A cette époque, Pierre Tornade n'a pas beaucoup de doublages à son actif, même si on peut reconnaître sa voix dans une poignée de films des années 50/60 (on l'entend par exemple dans un petit rôle dans La Femme modèle de Minnelli, avec dans la distribution de voix un certain... Louis De Funès!), mais cela ne pose pas de problème, car les voix d'Astérix étant enregistrées avant l'animation, le synchronisme n'est pas pris en compte. Ce sont donc uniquement pour leurs dons de comédiens et leur personnalité que sont choisies les "voix" des films. On retrouve avec lui naturellement quelques habitués de la synchro, mais aussi plusieurs "figures" du boulevard français (Jacques Jouanneau, Jean Parédès), et beaucoup de membres de la grande famille "Pierre Tchernia/Robert Dhéry" (Bernard Lavalette, Jean-Marc Thibault, Jacques Legras). Pierre Tornade enregistre la voix d'Abraracourcix et plusieurs seconds rôles (comme le centurion Caïus Bonus ou l'architecte égyptien Numerobis) dans les trois premiers films (Astérix le Gaulois, Astérix et Cléopâtre et Les 12 Travaux d'Astérix). Il reprend le rôle d'Obélix à partir d'Astérix et la Surprise de César (1985) où sa grosse voix chuintante fait merveille sur ce gros benêt. Autre "blaireau" d'anthologie: Averell Dalton ("Dis Joe, quand est-ce qu'on mange?"), à qui il prête sa voix dans tous les Lucky Luke (les trois long-métrage et la première série d'animation). 


C'est un "vrai" blaireau cette fois, qui marque son entrée dans le "vrai" doublage: le moine Frère Tuck dans le Robin des Bois des studios Disney (1973), au côté de ses copains de théâtre Roger Carel et Philippe Dumat. Pierre Tornade participe quelques années plus tard au doublage du célèbre Muppet Show (il double notamment l'un des petits vieux), et à quelques autres séries d'animation doublées à la SOFI (Cubitus, Le Livre de la Jungle).

Après avoir incarné pendant plusieurs années le Commissaire Faroux dans la série Nestor Burma, Pierre Tornade prend sa retraite. En raison de sérieux problèmes de vue, il décline la proposition de doubler Obélix dans Astérix chez les Vikings... Figure sympathique du cinéma français, il va nous manquer...


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dimanche 4 mars 2012

Gérard Rinaldi : Bye bye, déjà...


J’ai appris avec une immense tristesse vendredi matin le décès des suites d’une longue maladie de Gérard Rinaldi, comédien, chanteur, auteur de pièces et de chansons… Gérard était un artiste surdoué, mais aussi un « homme bien ». Je l’avais rencontré pour la première fois en mars 2007. Le conviant à faire partir du jury d’un festival de théâtre étudiant que j’organisais à Cannes avec des amis étudiants comme moi en école de commerce, il avait gentiment accepté mon invitation. Une présence à la fois pudique et chaleureuse. Nous nous revoyions depuis deux fois par an, quand son emploi du temps le lui permettait. Je ne l’ai jamais « interviewé », mais garde en mémoire de très nombreuses anecdotes qu’il m’a racontées… Hommage à l'une des "légendes" de ce métier.

Né en 1943, le bébé Gérard Rinaldi reçoit des bonnes fées une « bonne tête », une voix exceptionnelle, beaucoup d'humour et de nombreuses qualités humaines (modestie, générosité, écoute). Adolescent, il monte un groupe de musique avec des copains, qui deviendra « Les Problèmes ». Cheveux longs, catogans, et déjà un esprit à la fois rebelle et farceur, ils accompagnent Pascal Danel, puis Antoine. On est en pleine vague yéyé. Par leur look et leurs provocations, ils s’attirent les foudres d’une France réactionnaire qui veut leur « couper les cheveux », et doivent même engager des gardes du corps pour se protéger.

En 1966, ils font la première partie des Rolling Stones lors de leur tournée en France (ils osent même chanter « Satisfaction », avant que Mick Jagger ne les remette gentiment à leur place), s’affranchissent d’Antoine et deviennent Les Charlots. Dès le premier disque, le titre « Je dis n’importe quoi, je fais tout ce qu’on me dit » (en réponse à « Je dis ce que je pense et je vis comme je veux » d’Antoine) chanté par Gérard avec l’accent berrichon, annonce la couleur : celui d’un esprit parodique et potache. 

De par son exceptionnelle voix et son charisme, Gérard devient le leader du groupe. Son don pour l’imitation fait mouche comme en témoignent son Gainsbourg de « Sois érotique », Luis Mariano de « Paulette, la reine des paupiettes » (parodie des « espagnolades » de l’époque), Jacques Dutronc de « Je suis trop beau », Tino Rossi de « Je chante en attendant que ça sèche » et ses très nombreuses « chansons à accent » (berrichon, arabe, etc.). Il participe par ailleurs à l’écriture de la plupart des chansons du groupe (avec Jean Sarrus et Luis Rego). 


L’année 1971 marque la sortie d’un nouveau tube, « Merci Patron », qui deviendra un « hymne » des manifestations syndicales, et leurs débuts au cinéma dans La Grande Java de Philippe Clair. Groupe de jeunes blagueurs qui ne se prennent pas au sérieux et se moquent gentiment des règles, ils amènent un vent frais dans le cinéma comique français de l’époque. Le public est vite conquis par leurs films qui totalisent plusieurs millions de spectateurs à travers le monde (une tournée promotionnelle en Inde virera à l’émeute, tant les « Crazy Boys » sont populaires là-bas) : Les Bidasses en folie, Les Fous du Stade, Les quatre Charlots mousquetaires, etc.

A cette époque, Gérard a un premier contact avec le doublage. Pour des raisons de droits (il est lié par contrat aux Charlots), il prend le pseudonyme de Gérard Dinal et enregistre la voix du chanteur de quadrille dans Lucky Luke in Daisy Town (1971) (mystérieusement remplacé par Philippe Clay dans le disque sorti à l’époque et réédité par PlayTime), et participe au doublage de la série d’animation Oum le Dauphin Blanc

Fin des années 70/début des années 80, le succès cinématographique des Charlots s’essouffle un peu. Ils se recentrent alors sur leur carrière de chanteurs, enregistrent plusieurs albums de chansons paillardes dont les célèbres « Histoire merveilleuse » (ou « Je bande ») et « Ah ! Viens ! » (avec Debbie Stoockett alias Nicole Croisille), et deux tubes : une parodie (« Chagrin d’labour ») et un « hommage » à Véronique et Davina (« L’apérobic »).

Gérard ne retrouve plus l’esprit original du groupe, les rebelles sont devenus une machine commerciale un peu ringarde, et les producteurs ne les encouragent pas à changer de voie. Il quitte le groupe en 1983 pour démarrer une carrière solo, à la fois au cinéma (Descente aux Enfers de Francis Girod, où il incarne Elvis, animateur d’un centre de vacances), au théâtre (Double mixte dans une mise en scène de Pierre Mondy), et à la télévision (Marc et Sophie, série à succès!).
C’est aussi l’année où il commence « officiellement » sa carrière dans le doublage de films. Il est tout d’abord engagé pour des rôles parlés et chantés : le méchant Ratigan dans Basil Détective Privé (qui chante "Bye Bye déjà"), Henri le Pigeon dans Fievel et le Nouveau Monde (Christopher Plummer doublant le pigeon avec un accent français dans la Version Originale, Gérard a l’idée de le doubler en imitant Maurice Chevalier), ou bien encore Steve Martin (le Dentiste) dans La Petite Boutique des Horreurs



Gérard devient vite un « grand » du doublage, prêtant sa voix à John Malkovich (Dans la ligne de mire), Tommy Lee Jones (Piège en haute mer), Jack Nicholson (Man Trouble), Ben Kingsley (Shutter Island) et Ted Danson (Damages). Il m’avouait il y a peu son découragement face à la participation de plus en plus « intrusive » des décideurs dans le doublage : « Ted Danson doit reprendre le premier rôle de la série Les Experts… On m’a demandé de passer des essais dessus, alors que ça fait des années que je le double. J’ai refusé de passer des essais, ils vont certainement prendre quelqu’un d’autre... »

Le statut de « personnalité » de Gérard ne l’empêche pas d'accepter de reprendre avec beaucoup d’humilité et ses dons d'imitation naturels les rôles réguliers de comédiens disparus : Sipowicz dans New York Police Blues (précédemment doublé par Henri Poirier et Jacques Richard), Krusty le clown et plusieurs personnages des Simpson (suite au décès de Michel Modo), Big Ben dans les séquences inédites de La Belle et la Bête.
Il double aussi Dustin Hoffman (recordman du nombre de « voix françaises » différentes) dans plusieurs films dont Last Chance for Love (suite au désistement de Pierre Arditi) qu’il a beaucoup aimé doubler et qui reste l’un de ses meilleurs souvenirs de doublages, avec Lorenzo (1992). Dans Lorenzo, il double Nick Nolte, père d’un enfant malade, qui se bat pour trouver un remède. Un sujet tellement émouvant que l’équipe fond en larmes pendant le doublage.

Gérard Rinaldi prête plusieurs fois sa voix à David Suchet (Ultime Décision, Meurtre Parfait). Peut-être aurait-il pu reprendre Hercule Poirot (suite à la retraite de notre ami Roger Carel), je l'avais en tout cas suggéré à Roger qui cherchait un remplaçant. Séduit par cette idée, Roger en avait parlé à la direction artistique de la série…

Gérard devient également avec ses camarades Daniel Beretta, Richard Darbois, Michel Mella et Bernard Alane l’une des voix incontournables des films Disney de la fin des années 80 aux années 2000, prêtant sa voix à Dingo (depuis le début des années 90), au Chef Louis dans La Petite Sirène, au Hibou dans le redoublage de Danny le petit mouton noir et à de nombreux personnages.




Parallèlement à sa carrière dans le doublage, Gérard tourne beaucoup, principalement pour la télévision (peut-être trop « étiqueté » par les Charlots et Marc et Sophie, il peine à s’imposer au cinéma), dans des fictions, des « drames ruraux » comme il les nomme. « C’est devenu un jeu. Quand j’arrive le matin sur un plateau, je demande « Qu’est-ce qu’on tourne aujourd’hui ? » et toute l’équipe du tournage me répond en chœur « Un drrrrame rrrurral ! »».

Passionné par le jazz et la chanson française des années 30-40, il enregistre en 2007 un album de vieilles chansons françaises interprétées « façon crooner », avec des musiciens de jazz. En raison d’un changement de producteurs, il réenregistre à deux reprises les chansons. Le disque doit finalement sortir en 2012 chez Sony. Gérard en est particulièrement fier, même s’il doit faire quelques concessions (enregistrer un peu plus de « tubes » et mettre de côté quelques chansons moins connues). C’est pour promouvoir ce disque et d’autres projets personnels (co-écriture de la pièce Chambre d’hôtes ou La vie déjantée des Rognoles avec Sylvie Loeillet), qu’il accepte de participer à la tournée Age tendre et têtes de bois et de réenregistrer des tubes des Charlots (Les Charlots 2008 et Les Charlots : L’essentiel). Un retour vers une certaine médiatisation (Les Grosses Têtes de Philippe Bouvard en 2008 et 2011, Vivement Dimanche, Le Plus Grand Cabaret du Monde, Les Années Bonheur, Etonnez-moi Benoît, Dimanche soir chez Hubert à plusieurs reprises, etc.) qui lui prouve une nouvelle fois tout l'amour que lui porte le public.

Lors de notre dernière rencontre mi-novembre, entre deux tournages (deuxième saison de La Nouvelle Maud à Angoulême (rôle du père d'Emma Colberti) et un épisode de Caïn à Marseille (rôle d'un mafioso atteint de la maladie d'Alzheimer)), Gérard débordait de projets : montage de sa pièce Les Rognoles dans un théâtre parisien, participation à une tournée d’anciens humoristes (sur le même principe qu’Age Tendre et Têtes de Bois), tournée de concerts « crooner », enregistrement de chansons avec le groupe Les Low Budget Men (association pour la mise à disposition de défibrillateurs), mise en scène d’une comédie musicale parodique sur Zorro qu’il avait écrite et qui traînait depuis trop longtemps dans ses cartons…


Gérard Rinaldi laisse un immense vide dans la profession. Pour décrire l’état de tristesse dans lequel il nous abandonne, je reprendrai les mots de notre ami commun Michel Mella « Notre magnifique camarade et ami, artiste de grand talent, érudit et drôlissime, modeste et indulgent, nous a quittés. Gérard Rinaldi n'est plus et on est comme des cons. »

Pour en connaître un peu plus sur la carrière de Gérard Rinaldi, je vous invite à visiter le site de mon amie Marlène Meyer, sa "fan n°1", à lire l'excellent livre "100% Charlots" de Jean Sarrus, et à écouter cette émission des Grosses Têtes (juin 2011)


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